Dans le cadre du programme de suivi des causes de mortalité des bélugas du Saint-Laurent, le RCSF-Québec a reçu, le 21 mars dernier, la carcasse d’une jeune femelle béluga (Delphinapterus leucas) trouvée échouée près de Sainte-Luce (Québec).
À la nécropsie, l’observation la plus étonnante fut la présence d’un aiguillat noir (Centroscyllium fabricii) coincé dans la cavité orale qui obstruait l’ouverture du larynx de l’animal. Les
cétacés ont un système respiratoire adapté à la vie aquatique, incluant la présence d’un larynx tubulaire (tube aryténo-épiglottique tube ou goose beak) qui relie la trachée à l’évent en passant au centre de l’œsophage. Le béluga ne mâche pas ses proies, mais les avale entières, et doit donc dans certains cas “désengager” leur épiglotte (partie terminale du larynx) du muscle palatopharangéal afin de permettre la déglutition des proies de plus grande taille. Si durant ce “désengagement” la proie reste coincée, elle pourra obstruer le retour en position normale du larynx et ainsi empêcher l’animal de respirer, menant à une mort par asphyxie. Ce type d’incident a déjà été rapporté chez certaines espèces de baleines à dents (dauphins, marsouins et globicéphales) ayant tenté d’avaler des poissons possédant des épines au niveau des nageoires ou des poissons plats. Un cas d’asphyxie suite à l’ingestion d’un flet étoilé (Platichthys stellatus) – un poisson plat, a aussi été rapporté chez un béluga de la population de Cook Inlet, Alaska, mais l’événement décrit ici est une première pour la population de bélugas du Saint-Laurent. La présence de contenu gastrique autour de l’aiguillat suggère que le béluga a tenté de régurgiter cette proie de trop grande taille, mais sans succès. La peau rugueuse ainsi que la présence de deux grandes épines au niveau des nageoires dorsales de l’aiguillat sont vraisemblablement responsables de cette incapacité à “recracher” cette proie.
Les bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent s’alimentent de différentes espèces de poissons et d’invertébrés qui ont habituellement moins de 30 cm de longueur. La prédation sur
l’aiguillat noir n’a pas été documentée à notre connaissance chez cette espèce. L’aiguillat noir est un petit requin d’environ 60 à 80 cm vivant en eaux froides profondes du bassin de l’océan Atlantique, incluant l’estuaire du Saint-Laurent. Il se nourrit de différentes espèces d’invertébrés (céphalopodes, crustacés et méduses), ainsi que de petits sébastes. Les raisons ayant incité ce béluga à cette prédation fatale sur une espèce inhabituelle restent incertaines. On peut quand même suggérer qu’une diminution de la disponibilité des proies préférentielles pourrait pousser les bélugas à consommer des proies inhabituelles plus “à risque”. Des changements écosystémiques (comme l’augmentation marquée de la population de sébastes, une proie de l’aiguillat) pourraient aussi favoriser la population d’aiguillats noirs dans l’estuaire et ainsi augmenter les occasions de prédation par le béluga. Bien que ces observations ne soient pour l’instant que des hypothèses, il reste essentiel de suivre l’impact des changements écosystémiques sur la disponibilité des proies du béluga dans l’estuaire du Saint-Laurent, et ce afin de mieux comprendre l’effet qu’auront ces changements sur la conservation de cette population menacée.
Références :
- Rouse, N, Burek-Huntington, K, Shelden, K (2017). Asphyxiation of an endangered Cook Inlet beluga whale, Delphinapterus leucas. Marine Fisheries Review. 79. 10.7755/MFR.79.2.3.
- Stolen M, St Leger J, Durden WN, Mazza T, Nilson E (2013). Fatal asphyxiation in bottlenose dolphins (Tursiops truncatus) from the Indian River Lagoon. PLoS One. 19;8(6):e66828.
