Un échouage rarissime dans le Saint-Laurent

Membres de l’équipe de nécropsie du RCSF Québec et du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (de gauche à droite) : Justin Farault, Viviane Casaubon, Shannon Ferrell, Amélia Dalpé et Méduline Chailloux (RQUMM)
Une équipe du RCSF-Québec ainsi que du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins a procédé à l’examen postmortem d’une baleine à bec commune (Hyperoodon ampullatus) trouvée morte sur une plage de l’île d’Orléans (Québec) à la fin du mois d’octobre dernier. Cette femelle adulte, qui pesait près de 2500 kg et mesurait 6,3 mètres de longueur, semblait en bonne condition nutritionnelle. Bien que les examens réalisés n’aient pas permis de déterminer la cause de cet échouage avec certitude, nous croyons que les causes d’origine infectieuse et traumatique (comme une collision avec une embarcation) peuvent être éliminées, et ce bien que l’état de décomposition de la carcasse ait pu masquer certains changements pathologiques. La présence d’une grande quantité de becs de calmars dans l’estomac de cette baleine (suggestif d’une mort des suites d’un événement aigu), l’absence de condition pathologique évidente et la localisation de cet échouage évoquent la possibilité d’un échouage accidentel. Différents facteurs ont été proposés pour expliquer ce type “d’accident” qui est souvent suspecté chez les baleines à bec en apparente bonne santé avant l’échouage (McAlpine et al 2023). Premièrement, les baleines à bec sont réputées être particulièrement sensibles à la pollution sonore, un paramètre bien présent dans la voie navigable du Saint-Laurent. Il est proposé que cette pollution sonore puisse interférer avec les capacités d’écholocalisation et de communications des baleines, affectant ainsi leur comportement de recherche de nourriture et leur orientation (McAlpine et al 2023). De plus, l’environnement fluvial est de profondeur, salinité et turbidité variables, ce qui engendre un potentiel d’artéfacts de réverbération et de désordre acoustiques qui viennent d’autant plus compliquer l’orientation spatiale basée sur l’écholocalisation chez cette espèce peu habituée à naviguer en eaux peu profondes. En effet, cette espèce de la famille des ziphiidés navigue habituellement dans les eaux profondes (plus de 500 mètres) de l’Atlantique Nord, et est donc vraisemblablement peu adaptée à la navigation en zones côtières.

Chacun des organes est évalué lors de la nécropsie, débutant par la peau et les graisses externes avant de se rendre aux organes internes.
La présence de cette espèce dans la zone fluviale du Saint-Laurent est très inhabituelle ; la dernière visite documentée dans cette région remontant à plus de 30 ans lorsqu’une femelle adulte et un sujet juvénile s’étaient échoués à quelques jours d’intervalle. Le fait que cette baleine était en alimentation active quelque temps avant son échouage suggère qu’elle a suivi ses proies vers l’amont du Fleuve Saint-Laurent. On peut se demander si la modification de la distribution géographique de plusieurs espèces marines causée par les changements climatiques sera à même d’augmenter la fréquence d’exploration de régions inhabituelles par certaines espèces de mammifères marins à la recherche de ressources alimentaires. Si tel est le cas, ceci pourrait augmenter les risques d’échouages accidentels ainsi que les problématiques associées à l’exposition accrue à l’activité humaine.
Malgré une protection complète depuis plusieurs décennies, la population du plateau néo-écossais de baleines à bec communes est toujours classifiée comme étant en voie de disparition (COSEPAC 2002). Comme les observations de spécimens vivants sont rares, les nécropsies de sujets échoués constituent la plus importante source d’information pour cette espèce. Ces examens nous permettent d’en apprendre davantage sur la biologie et les causes de mortalité de cette espèce pour laquelle les connaissances restent limitées.
Pour plus d’informations sur cet échouage, visitez la page suivante : https://baleinesendirect.org/une-baleine-a-bec-echouee-sur-lile-dorleans/
Références :
- Pêches et Océans Canada. 2017. Plan d’action pour la baleine à bec commune (Hyperoodon ampullatus), population du plateau néo-écossais, dans les eaux canadiennes de l’Atlantique. Série de plans d’action de la Loi sur les espèces en péril. Pêches et Océans Canada, Ottawa. v + 42 p.
- McAlpine, D.F., Wimmer, T., Ledwell, W., Daoust, P.Y., Bourque, L., Lawson, J., Bachara, W., Lucas, Z., Reid, A., Lair, S., François, A., Michaud, R. (2024). A review of beaked whale (Ziphiidae) stranding incidents from the inshore waters of eastern Canada. The Canadian Field-Naturalist, 137(3), 201-231.
- Whitehead, H., Faucher, A., Gowans, S., & McCarrey, S. (1996). COSEWIC Assessment and Update Status Report: On the Northern Bottlenose Whale, Hyperodon Ampullatus, Scotian Shelf Population, in Canada. Committee on the Status of Endangered Wildlife in Canada.