Stéphane Lair, directeur régional du RCSF pour le Québec a été invité à faire une présentation sur les postes d’alimentation et la santé des oiseaux sauvages dans le cadre du Festival des oiseaux migrateurs de la Côte-Nord qui a eu lieu à Tadoussac (Québec) en septembre dernier. L’objectif de cette conférence était de présenter les principales maladies pouvant être observées chez les oiseaux fréquentant les postes d’alimentation, d’examiner les effets positifs et négatifs du nourrissage des oiseaux sauvages et de discuter des précautions à prendre afin de minimiser la transmission de maladies via cette pratique. Nous résumons ici les propos de cette conférence qui a été donnée devant plusieurs d’observateurs d’oiseaux passionnés.

L’essor de l’ornithologie récréative et de la photographie contribue à documenter des maladies affectant les oiseaux en milieu naturel. Bien qu’un diagnostic définitif requière des analyses de laboratoire, l’évaluation des photographies soumises par les observateurs peut permettre d’émettre un diagnostic présomptif pour certaines conditions ayant des présentations cliniques caractéristiques. Parmi les maladies fréquemment observées aux mangeoires, la mycoplasmose, causée par Mycoplasma gallisepticum, se manifeste par une conjonctivite / blépharite (inflammation de l’œil et des paupières) et est surtout observée au cours de l’hiver chez les roselins et autres fringillidés (Photo 1). Cette condition bactérienne qui est régulièrement observée au Québec se transmet surtout par contact direct entre les oiseaux. La trichomonose, causée par le protozoaire Trichomonas gallinae, affecte surtout les chardonnerets jaunes et les roselins. Cette condition parasitaire cause des lésions ulcératives orales, se traduisant par des régurgitations et une hypersalivation (Photo 2). La trichomonose est surtout observée à la fin de l’été lorsque les températures clémentes permettent aux parasites de survivre dans les graines mouillées contaminées ce qui favorise la transmission entre oiseaux. Bien que moins fréquentes chez les oiseaux de mangeoires au Québec que les deux conditions précédentes, les infections à poxvirus peuvent aussi être observées, surtout chez les bruants, la tourterelle triste

et la corneille d’Amérique (photo 3). Ce virus provoque l’apparition de masses cutanées de type “verrues”. La maladie de la kératine du bec (AKD) cause une surcroissance du bec, souvent associée à une malocclusion entraînant un bec-croisé (Photo 4). Cette condition, qui est vraisemblablement causée par un virus, semble être en émergence au Québec, surtout chez les pics et les sittelles, et ce, bien que nous n’ayons pas encore pu confirmer ce diagnostic en laboratoire. Enfin, la salmonellose est une autre condition observée chez les oiseaux de mangeoires qui apparaît surtout en hiver, notamment chez les tarins des pins. Cette condition bactérienne, qui n’est pas documentée toutes les années, présente un risque d’infections pour les chats domestiques chassant les oiseaux et l’humain (zoonose). Les oiseaux infectés sont habituellement faibles et ont le plumage ébouriffé, ou sont simplement trouvés morts.
En général, il n’est pas recommandé de nourrir les animaux sauvages. Par contre, le nourrissage des oiseaux en zones urbaine et périurbaine est habituellement toléré, pour ne pas dire encouragé. Quand est-il des risques associés à cette pratique ? Est-ce que ces risques sont compensés par les bénéfices associés à la mise à disposition de nourritures additionnelles pour les oiseaux ? En premier lieu, on doit dire qu’en provoquant une agrégation d’oiseaux, les mangeoires augmentent les contacts entre oiseaux ce qui peut favoriser la transmission de pathogènes, comme les mycoplasmes, les salmonelles et les virus. De plus, la

présente de postes d’alimentation peut favoriser les contacts entre différentes espèces qui n’auraient pas lieu en milieu naturel et ainsi augmenter les risques d’échanges d’agents pathogènes vers des espèces plus sensibles. On peut citer l’exemple des protozoaires responsables de la trichomonose souvent retrouvés de façon asymptomatique (sans causer de signe clinique) chez les colombidés, comme les tourterelles, qui contamineront un plateau de graines risquant ainsi d’infecter des espèces moins bien adaptées, comme chez les chardonnerets jaunes, chez qui ils produiront la maladie. En attirant les oiseaux à proximité des habitations, les postes d’alimentation peuvent aussi contribuer à augmenter les risques de collision avec les fenêtres et les risques de prédation par les chats domestiques. Le nourrissage des oiseaux peut aussi modifier la dynamique des populations en favorisant certaines espèces, au détriment d’autres. Elles peuvent également influencer les comportements migratoires ou favoriser l’expansion de certaines espèces exotiques introduites, comme la tourterelle turque.
Malgré ces impacts négatifs potentiels, les postes d’alimentation offrent aussi certains avantages pour l’avifaune. Par exemple, plusieurs études ont démontré une amélioration de la survie et de la reproduction de certaines espèces lorsque des mangeoires sont présentes. En général, les populations des espèces communément observées aux postes d’alimentation se portent relativement bien, ce qui suggère un effet global positif de cette pratique, du moins en Amérique du Nord. Au Royaume-Uni par contre, il a été suggéré que l’alimentation des oiseaux à l’aide de mangeoires pouvait contribuer au déclin d’une espèce de passereaux, le verdier d’Europe, en raison d’une augmentation importante des mortalités causées par la trichomonose. Un impact négatif du nourrissage a aussi été suggéré pour la mésange boréale en raison de l’augmentation des populations de pics épeiches (

qui profitent du nourrissage), une espèce qui peut faire de la prédation sur les nids de mésanges.
Il n’en reste pas moins que l’habitude de nourrir les oiseaux chez soi est un outil de sensibilisation à la conservation de la faune, et ce surtout chez les jeunes observateurs. Ce type d’activité est aussi à même de contribuer à différents programmes de science citoyenne comme FeederWatch. Plusieurs études suggèrent aussi des bienfaits récréatifs et éducatifs de cette activité pour les “nourrisseurs”. En conclusion, la mise à disponibilité de postes d’alimentation pour les oiseaux a potentiellement des impacts à la fois négatifs et positifs, et est surtout bénéfique pour celui qui nourrit. Comme disait Paul Baicich : “The birds don’t need the feeders. We do.”
Néanmoins, certaines pratiques peuvent être mises en place afin de minimiser les impacts négatifs du nourrissage :
- Modérez votre enthousiasme afin de contrôler les grands rassemblements : limitez-vous deux ou trois postes d’alimentations par site.
- Favorisez les mangeoires de petits volumes et les mangeoires minimisant les risques de contamination avec les matières fécales.
- Utilisez des graines de bonne qualité afin d’éviter l’accumulation d’aliments.
- Nettoyez vos mangeoires régulièrement à l’eau savonneuse suivie d’un trempage dans une solution d’eau de javel (1:9).
- Portez des gants et lavez-vous bien les mains afin de minimiser les risques de contacter certaines zoonoses comme la salmonellose.
- Cessez temporairement de nourrir les oiseaux (2 semaines) lorsque vous en observez qui sont malades ou morts à vos mangeoires. Vous devrez alors désinfecter ces mangeoires et jeter les graines qu’elles contenaient.
- Ne nourrissez que durant la saison hivernale afin de limiter la transmission de la trichomonose.
- Installez un cône anti-rongeurs (et prédateurs) sur les piquets des postes d’alimentation.
- Installez les mangeoires suspendues à au moins 2 m (7 pieds) de haut et à au moins 12 pieds (3,5 m) de buissons ou cachettes pour chats, afin de réduire les risques de prédation.
- Installez les mangeoires à moins de 5,5 m (15 pieds) d’un arbre pouvant servir de refuge aux oiseaux.
- Ne laissez pas vos chats dehors sans supervision.
- Mettre des décalques (ex : FeatherFriendly) dans vos fenêtres afin de minimiser les risques de collisions.
Depuis l’émergence de l’influenza aviaire hautement pathogène, certaines agences découragent le nourrissage des oiseaux. Comme les espèces fréquentant les postes d’alimentations urbains (essentiellement des passereaux) ne semblent pas jouer un rôle important dans la dynamique et transmission de cette condition, cette pratique ne semble pas augmenter les risques de propagation de ce virus. Par contre, on évitera de nourrir les oiseaux aquatiques, comme les canards, les oies et les goélands, réservoirs principaux de ce virus hautement pathogène. De plus, si vous possédez des oiseaux de bassecour, il est préférable de ne pas encourager les contacts avec les oiseaux sauvages.
En conclusion, le nourrissage des oiseaux est une activité appréciée, mais qui doit être pratiquée avec prudence. Les oiseaux n’ont pas vraiment besoin de postes d’alimentation, mais cette activité peut avoir une valeur pour nous. Une gestion responsable permet d’en maximiser les bénéfices tout en minimisant les risques pour la santé des oiseaux, des animaux domestiques et des populations humaines. Ceci étant dit, si on souhaite avoir un impact réel sur la biodiversité, on peut aménager son environnement de façon à favoriser les sources de nourritures naturelles et les sites de nidifications pour les oiseaux, en plantant des arbres fruitiers et des espèces de graminées indigènes par exemple.
Soumis par Stéphane Lair, RCSF – Québec
