Au printemps et en été, on peut observer des jeunes pies ou corneilles sautillant aux côtés de leurs parents dans différents milieux naturels ainsi que dans les zones urbaines comme les trottoirs, les stationnements et autour des bâtiments. Elles font partie intégrante du paysage de la plupart des quartiers canadiens. La pie d’Amérique et la corneille d’Amérique appartiennent toutes deux à la famille des Corvidés, une famille d’oiseaux reconnus pour leur grande adaptabilité. Il n’est donc pas surprenant que les individus de ces deux espèces soient particulièrement doués pour vivre au sein des communautés humaines. Ces deux espèces prospèrent dans les villes malgré les nombreux défis que présente cet habitat, en grande partie grâce à la facilité d’accès à la nourriture que les humains leur offrent involontairement [1].
Cependant, tous les oisillons n’arrivent pas à survivre – notre centre de diagnostic à Saskatoon reçoit chaque printemps et été de nombreux jeunes corvidés. Les causes possibles de mortalité sont nombreuses, certaines plus évidentes que d’autres, comme les collisions avec des véhicules ou la prédation. Parfois, une observation intrigante se présente : les membres et becs de certains jeunes ont peu de rigidité et sont anormalement flexibles, un signe fréquent de carence nutritionnelle. Nous avons reçu un nombre important de ce type de cas cette année, tous provenant de Saskatoon, ce qui nous a amenés à nous demander si ces anomalies pourraient être liées à un accès à nos déchets.
Les oiseaux affectés présentaient un historique similaire : difficulté à se percher et/ou à rester debout, léthargie et faiblesse. Dans certains cas, ils avaient les yeux enflés, les pattes tordues, ainsi que des fractures aux pattes. À l’examen externe, leurs pattes et becs étaient anormalement souples. À l’examen interne, la thyroïde et les parathyroïdes (glandes souvent associées aux maladies métaboliques) de certains individus paraissaient visiblement augmentées de taille. Fait intéressant, bien que certains oiseaux avaient d’importantes réserves de graisse, la plupart des juvéniles présentaient une mauvaise condition corporelle.
Notre première hypothèse fut celle d’une maladie métabolique entraînant des niveaux anormaux de calcium, phosphore et vitamine D, rendant les os en croissance fragiles — ce qui peut être causé par une alimentation inadéquate. Des signes de maladie métabolique ont déjà été rapportés chez de jeunes corneilles d’Amérique : « Les oiseaux malades présentaient soit des fractures “en bois vert”, soit une forte déviation (valgus) d’un ou des deux tibiotarses. Ces oiseaux étaient incapables de marcher ou de voler […] » [2]. Bien que l’alimentation humaine ait été envisagée comme cause possible de ce problème, l’auteur de cette étude n’a pas directement attribué ces troubles à la nourriture humaine, précisant que les corneilles nourrissent leurs progénitures surtout avec des insectes.
En revanche, une autre présentation clinique est observée chez les pies : certaines ont été vues construisant leurs nids à proximité de poubelles [3] et/ou nourrissant leurs oisillons d’un régime composé en partie d’insectes, mais incluant aussi une proportion notable d’aliments non naturels, comme de la viande et des produits à base de blé — surtout en comparaison avec les pies vivant en milieu rural, qui mangent davantage d’insectes et moins de nourriture issue d’activités humaines [4].
Comme souvent, il y a plus de questions que de réponses. Cette maladie métabolique osseuse vraisemblable pourrait-elle être causée par une préférence des parents pour la malbouffe ou bien par un réel manque de nourriture adéquate en milieu urbain, obligeant les jeunes à consommer ce qui est disponible. Les parents inexpérimentés sont-ils plus susceptibles de donner une nourriture moins nutritive à leurs petits, ce qui biaiserait nos observations vers des individus non représentatifs de la population globale? La compétition entre frères et sœurs conduit-elle les plus faibles à ne manger que des aliments moins nutritifs — ou en plus petite quantité —, nous amenant à recevoir uniquement ces individus fragiles et créant un biais d’échantillonnage? Doit-on s’attendre à un certain degré de flexibilité des os selon l’âge des jeunes, et si oui, quelle flexibilité est normale et pendant combien de temps avant de devenir problématique? Des causes alternatives de fragilité osseuse, comme l’ingestion de toxines, sont également mentionnées dans la littérature. Ce type de questions illustre bien que, comme dans toute recherche scientifique, de nombreuses variables doivent être prises en compte et que des études additionnelles seront nécessaires afin confirmer une cause présumée.
Ces cas ont été soumis pour un examen histopathologique approfondi, qui permettra de documenter et caractériser les signes de carences nutritionnelles ou d’autres affections. Nous espérons que cela aidera à mieux comprendre la cause de cette fragilité osseuse.
Il serait ironique que l’alimentation humaine soit la cause de cette condition : la nourriture facilement accessible qui aide les corvidés à prospérer en milieu urbain pourrait en réalité

compromettre leur succès reproducteur. La malbouffe qu’ils semblent apprécier ne suffit pas à assurer la survie de leurs petits, et rien ne remplacera jamais un régime riche en protéines et en nutriments à base d’insectes, dont la qualité et l’abondance sont dépendantes de la présence d’espaces verts urbains. Même si dans certains cas, la présence de ces deux espèces d’oiseaux peut déranger, ces espèces jouent un rôle important dans l’écosystème urbain et péri-urbain. Comme citoyens nous avons la responsabilité de préserver les espaces naturels dans les zones urbaines.
Si vous trouvez un jeune corvidé qui semble en difficulté, assurez-vous qu’il est vraiment blessé ou malade avant de contacter un service de secours. Lorsqu’ils quittent le nid, les oisillons passent quelques jours au sol, sous la supervision de leurs parents, avant d’être en mesure de voler de leurs propres ailes. L’oiseau que vous voyez sautiller et voler maladroitement est peut-être simplement en période d’apprentissage.
Si vous trouvez un oiseau mort, veuillez le signaler au bureau régional du RCSF. En Saskatchewan, vous pouvez contacter le centre de l’ouest et du nord par téléphone (306-966-5815) ou par courriel (**@*******sf.ca).
Les risques liés à la collecte de spécimens sont faibles si des précautions sanitaires raisonnables sont prises, mais certaines espèces présentent des risques plus importants que d’autres, notamment les serpents venimeux, les chauves-souris susceptibles de transmettre la rage et les oiseaux présentant un risque d’influenza aviaire. Votre bureau régional peut vous conseiller au besoin. Des instructions pour la manipulation des spécimens sont disponibles sur le site web du Réseau canadien pour la santé de la faune.
Rédigé par : Beatriz Garcia de Sousa, RCSF Ouest/Nord
Références
[1] Benmazouz, I., Jokimäki, J., Lengyel, S., Juhász, L., Kaisanlahti-Jokimäki, M.-L., Kardos, G., Paládi, P., & Kövér, L. (2021). Corvids in Urban Environments: A Systematic Global Literature Review. Animals, 11(11), 3226. https://doi.org/10.3390/ani11113226.
[2] Tangredi, B.P. (2007). Environmental factors associated with nutritional secondary hyperparathyroidism in wild birds. Avian and Poultry Biology Reviews, 18(2), 47-56. doi: 10.3184/147020607X251212
[3] Ciebiera, O., Czechowski, P., Morelli, F., Rubacha, S., & Jerzak, L. (2025). Adaptation of Eurasian Magpie (Pica pica) to Urban Environments: Population Dynamics and Habitat Preferences in Zielona Góra (Poland) over 23 Years. Animals, 15(5), 704. https://doi.org/10.3390/ani15050704.
[4] Kryštokofvá, M., Fousová, P., & Exnerová, A. (2011). Nestling diet of the Common Magpie (Pica pica) in urban and agricultural habitats. Ornis Fennica, 88(3), 138–146. https://doi.org/10.51812/of.133776.