Toxoplasma gondii un parasite du chat chez les bélugas du Saint-Laurent
Dans un article scientifique publié l’automne dernier dans la revue Diseases of Aquatic Organisms les chercheurs rapportent la détection d’ADN de Toxoplasma gondii dans les tissus de 44% des carcasses de bélugas testés.1 Ces carcasses proviennent du programme de surveillance des causes de mortalité des bélugas du Saint-Laurent auquel collabore activement le centre régional du RCSF-Québec. Les chercheurs ont analysé le cœur et le cerveau de 34 bélugas trouvés échoués et examinés par l’équipe de pathologistes vétérinaires au cours des années 2009 à 2012. Les mâles avaient un taux d’infection plus élevé que les femelles et ce parasite était plus fréquent chez les veaux et les juvéniles comparativement aux adultes.
Toxoplasma gondii est un protozoaire qui a besoin de deux hôtes pour compléter son cycle. Les parasites se retrouvent dans l’intestin de l’hôte définitif qui doit obligatoirement être un félin (ex: chat domestique, lynx, puma). La grande majorité des mammifères, dont l’Homme, et plusieurs espèces d’oiseaux, agissent comme hôtes intermédiaires suite à l’ingestion de kystes libérés dans l’environnement par l’entremise des matières fécales des félins. Le protozoaire ira alors s’enkyster dans les organes de l’hôte intermédiaire et pourra rester en dormance pour une durée prolongée. Le félin s’infectera en consommant des organes d’un hôte intermédiaire porteur. Dans la très grande majorité des cas, l’infection par T. gondii passe complètement inaperçu aussi bien chez l’hôte intermédiaire que les hôtes définitifs. Ce parasite peut par contre représenter un risque pour le fœtus lorsque la mère s’infecte lors de la grossesse. De plus, des cas d’infections fatales ont été documentés chez plusieurs espèces d’oiseaux et de mammifères sauvages, incluant plusieurs espèces de mammifères marins. Les infections par T. gondii représentent entre autres une cause de mortalité importante chez deux espèces menacées, la loutre de mer et le phoque moine d’Hawaii.
Sur les 15 animaux chez qui T. gondii a été détecté dans l’étude citée ici,1 il a été déterminé que cette infection par T. gondii avait causé la mort que chez un seul sujet. Dans les autres cas, il s’agissait soit d’infections asymptomatiques (ne causant pas de maladie), ou d’infections significatives mais non détectées à l’examen post-mortem. Ce projet démontre bien que le béluga du Saint-Laurent est fortement exposé à ce parasite qui peut potentiellement être pathogène. Depuis le début du programme de surveillance des causes de mortalités des bélugas du Saint-Laurent en 1983, nous avons documenté sept cas d’échouages de bélugas causés par une infection fatale par T. gondii, ce qui représente 4% des cas d’échouages pour lesquels la cause de la mort a été déterminée. Bien que ce nombre semble faible, il s’agit sans aucun doute d’une sous-estimation du nombre réel de mortalités associées à ce parasite. De plus, il est bien connu que T. gondii peut aussi induire des effets sous-létaux (non-mortels) chez les hôtes intermédiaires, comme des changements de comportement, qui pourraient aussi contribuer à diminuer les aptitudes d’un animal à survivre et se reproduire. Par conséquent, bien qu’il soit difficile d’évaluer l’impact de ce parasite sur les bélugas du Saint-Laurent, sa présence n’aide certainement pas au rétablissement de cette population menacée.
Toxoplasma gondii n’est vraisemblablement pas un nouveau venu dans l’écosystème du béluga; avant l’arrivée des européens en Amérique il était vraisemblablement retrouvé chez les lynx. Par contre, il est raisonnable de penser que l’arrivée des chats domestiques en Amérique du Nord a contribué à fortement augmenter la densité des kystes de ce parasite dans l’environnement, augmentant ainsi la “pression d’infection” sur les bélugas. De plus, l’exposition des bélugas à des concentrations importantes de contaminants connus pour avoir un effet négatif sur le système immunitaire (comme les BPCs) pourrait aussi diminuer la résistance naturelle des bélugas face à ce parasite et ainsi favoriser les infections fatales. La diminution des concentrations de BPCs dans l’environnement est donc une bonne nouvelle pour cette population de cétacés et devrait contribuer à améliorer leur capacité à se défendre contre des agents pathogènes comme T. gondii. Par contre, comme ces contaminants sont extrêmement résistants, cette amélioration s’étalera encore sur plusieurs décennies. Le meilleur moyen de diminuer la contamination de l’environnement par ce parasite reste la garde responsable des chats domestiques. En ayant accès au milieu extérieur sans supervision les chats augmentent leurs risques de se contaminer en chassant et mangeant des rongeurs et oiseaux potentiellement porteurs de kystes de T. gondii. En déféquant à l’extérieur ils contribueront par la suite à augmenter la densité de ce parasite dans l’environnement et donc les risques pour les espèces potentiellement sensibles comme le béluga. Les kystes de T. gondii sont extrêmement résistants et peuvent survivre dans les eaux de ruissellement pour parvenir jusqu’à l’habitat du béluga. Un chat gardé à l’intérieur et sorti à l’extérieur sous supervision n’aura essentiellement pas de risque d’attraper ce parasite et ne contribuera donc pas au problème. De plus, son bien-être et son espérance de vie seront grandement améliorés. Dans la même optique il n’est pas recommandé de supporter des colonies de chats errants, que cela soit en raison de leur impact possible sur la faune ou en raison des problèmes de bien-être animal (pour les chats) associés à cette pratique.
Référence
- Iqbal A, Measures L, Lair S, Dixon B. Toxoplasma gondii infection in stranded St. Lawrence Estuary beluga Delphinapterus leucas in Quebec, Canada. Dis Aquat Organ. 2018;130(3):165-175.