Retour sur l’année : L’hiver 2016 – 2017 semble avoir été difficile pour les chouettes rayées au Québec
Plusieurs cas d’inanition primaire
Du mois d’avril 2016 au mois de mars 2017 un total de 56 chouettes rayées (Strix varia) a été soumis pour expertise au centre régional du Québec du RCSF. Ceci représente le plus grand nombre de soumissions pour cette espèce de strigiforme au cours d’une année à notre laboratoire. La majorité de ces chouettes (42) ont été soumises durant la saison hivernale (de novembre à mars). Les deux causes de mortalité les plus fréquentes chez ces chouettes étaient l’inanition primaire (23) et les traumatismes (30). La mortalité causée par l’inanition (mort de faim) n’est pas rare chez les oiseaux de proie, surtout chez les jeunes oiseaux dont les techniques de chasse sont en développement. On suspecte que ces oiseaux n’arrivent pas à capturer suffisamment de proie et meurent de dénutrition. Cette mortalité est surtout observée durant l’automne et l’hiver.
Il est intrigant de constater que le nombre de chouettes rayées pour lesquelles un diagnostic d’inanition primaire a été posé varie d’un hiver à l’autre; on note en effet un cycle de deux ou trois ans (Graphique 1).
Bien que la raison de ces variations interannuelles reste incertaine, on peut faire l’hypothèse que celles-ci sont dépendantes, du moins en partie, des variations d’abondance de l’espèce sur le territoire. Une augmentation de l’abondance de chouettes rayées pourrait en effet augmenter les probabilités de détection d’oiseaux morts ou malades de cette espèce. De plus, il est possible que la compétition entre les chouettes pour les ressources alimentaires (les rongeurs) soit accrue durant les hivers où ils y a un grand nombre de chouettes, ce qui augmenterait les risques d’inanition chez les oiseaux moins expérimentés.
Science citoyenne : outils d’analyse
Les agences responsables des ressources fauniques font régulièrement des inventaires afin de déterminer l’abondance d’une espèce animale sur le territoire. Comme ces inventaires sont couteux et demandant en ressource, ils sont surtout réservés aux espèces chassées ou aux populations d’espèces en difficulté. Par conséquent, pour plusieurs espèces, la quantité de données scientifiques disponible sur l’abondance est très loin d’être optimale. Certains organismes de conservation misent sur la “science citoyenne” dans le but mieux suivre l’évolution des populations de certaines espèces sauvages. Par exemple, Études d’Oiseaux Canada / Bird Studies Canada, un organisme non-gouvernemental qui a pour mission de veiller à la conservation de l’avifaune du Canada, gère un inventaire annuel des hiboux nocturnes du Québec. Depuis 2008, cette activité scientifique s’appuie sur la contribution de citoyens qui participent volontairement à cet inventaire en adhérant à un protocole bien établi. Les participants effectuent des inventaires balisés au cours du mois d’avril en identifiant tous les hiboux vus et entendus durant une période et sur un territoire définis (pour plus de détail sur ce programme consulter le site suivant : http://www.birdscanada.org/volunteer/qchiboux/?lang=FR). Ces inventaires normalisés permettent de déterminer un indice relatif d’abondance pour certaines espèces de strigiformes, dont la chouette rayée; indice qui peut être comparé année après année. Comme la présence des oiseaux est surtout déterminée grâce à l’écoute des chants territoriaux, cet indice représente un estimé de l’effort reproducteur de l’espèce.
Il est intéressant de constater qu’il existe une corrélation entre l’indice d’abondance de chouettes rayées en avril et le nombre de documentations de chouettes rayées mortes d’inanition primaire au cours de l’année subséquente (Graphique 2).
Cette observation supporte l’hypothèse que l’abondance de cette espèce sur un territoire est un facteur important dans l’occurrence d’inanition primaire chez cette population. En fait, le coefficient de détermination (R2) de 0,37 indique que 37% des variations de l’occurrence des cas d’inanition peuvent être expliquées par les variations d’abondance de l’espèce. En consultant le Graphique 2 on peut faire l’hypothèse que l’abondance de l’espèce en avril 2016 fut un facteur déterminant dans le nombre important de cas d’inanition primaire chez cette espèce au cours de l’hiver 2016 – 2017. En effet l’indice d’abondance le plus élevé des neuf dernières années, enregistré en avril 2016, est associe à l’occurrence la plus élevée de cas d’inanition primaire l’hiver suivant. Ceci étant dit, les variations dans l’abondance de l’espèce n’expliqueraient que partiellement les variations de fréquences d’inanition. Par conséquent, d’autres facteurs ont vraisemblablement un impact sur la fréquence des cas d’inanition. On peut par exemple se demander comment les conditions environnementales affectent les succès de chasse des chouettes rayées.
Données météorologiques historiques
Le gouvernement du Canada collige des données météorologiques diverses sur un site web facilement accessible (http://climat.meteo.gc.ca/historical_data/search_historic_data_f.html). Avec un peu d’effort il est possible d’extraire certaines données météorologiques de ce site, comme les variations dans le niveau de précipitation en neige. Sur le Graphique 3 on observe une corrélation entre le nombre de documentations d’inanition chez les chouettes rayées et la moyenne journalière de précipitation au cours de la saison hivernale (entre le 1er novembre et le 30 avril).[1]
La corrélation observée entre la fréquence de l’inanition primaire et les précipitations en neige suggère donc que la quantité de précipitation en neige aura un impact négatif sur la survie des chouettes rayées. En fait, cette variable météorologique pourrait expliquer 36% des variations de la fréquence de ce syndrome chez la chouette rayée. Ceci suggère que cette espèce de chouette est moins bien adaptée aux conditions hivernales que les espèces de chouettes nordiques, comme la chouette laponne ou la chouette épervière, et sera donc plus sensible aux accumulations de neige. Néanmoins, lorsque l’on consulte le Graphique 3, on note que bien que la mortalité fut relativement élevée durant l’hiver 2016 – 2017, la moyenne journalière de précipitation (1,3 cm) ne fut que légèrement supérieur à la moyenne des 12 derniers hivers (1,0 cm). Par conséquent, il ne semble pas que les précipitations de neige aient joué un rôle important dans les l’augmentation de la mortalité documentée durant l’hiver 2016 – 2017.
D’autres facteurs, tels l’abondance des proies (rongeurs), contribuent sans aucun doute à la fréquence d’inanition primaire chez cette espèce.
Stéphane Lair, RCSF Québec
[1] Les données de précipitation sont pour la région d’Ottawa et représente donc vraisemblablement une bonne estimation des niveaux relatifs de précipitations pour le sud du Québec.