Relation hôtes-parasites chez les mammifères marins : un équilibre fragile parfois fatal
Les mammifères marins, comme la plupart des animaux sauvages, sont très fréquemment infectés par des parasites. Lors de l’investigation d’une mortalité chez un mammifère marin, le pathologiste doit bien évaluer l’impact potentiel (ou non) d’une infection parasitaire sur la santé de l’animal. Dans la grande majorité des cas, ces parasitoses ne sont pas associées à des mortalités. En effet, bien que ces parasites représentent un certain coût physiologique pour l’hôte, celui-ci arrive habituellement à s’accommoder de la présence de ces organismes. Dans la grande majorité des cas, il existe un équilibre hôtes-parasites, car la survie et la transmission du parasite sont habituellement tributaires de la survie de l’hôte. Néanmoins, dans certaines circonstances, ces infections parasitaires peuvent être fatales. Nous présentons ici trois cas d’infections parasitaires fatales chez des mammifères marins observés en 2022 dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent au Québec. Ces mammifères marins ont été soumis au RCSF-Québec par le Réseau québécois d’urgence pour les mammifères marins (RQUMM).
Pneumonie vermineuse à Halocercus sp. chez un dauphin à nez blanc
Au début du mois de juillet dernier, une carcasse de dauphin à nez blanc (Lagenorhynchus albirostris) juvénile a été trouvée échouée à Blanc-Sablon, Québec. Bien que cette espèce soit présente dans le golfe du Saint-Laurent, très peu d’échouages de dauphins à nez blanc ont été rapportés par le RQUMM. Il s’agit en fait du premier individu de cette espèce à être soumis pour examen au RCSF-Québec. L’animal était en très bon état corporel, ce qui laisse penser qu’il est mort suite à un événement soudain. La taille de l’animal et la présence de lait dans l’estomac indiquent qu’il s’agit d’un jeune de l’année qui était encore activement allaité par sa mère.
Cependant, la présence de nématodes (vers ronds) dans l’estomac suggère que ce dauphin avait aussi commencé à manger de la nourriture solide (ces parasites gastriques étant habituellement acquis suite à l’ingestion de poissons contenant des larves). Considérant tous ces éléments, il est raisonnable de penser qu’il s’agissait d’un veau d’un an s’approchant du sevrage. L’examen post-mortem a révélé la présence d’un pneumothorax (présence anormale d’air sous pression dans la cavité thoracique) et d’une quantité très importante de longs nématodes (vers ronds) blanchâtres dans les voies aériennes. Ces nématodes formaient plusieurs nodules cavitaires irréguliers mesurant jusqu’à 4 cm de diamètre dans les poumons. Un de ces nodules était associé à une perforation de la plèvre (enveloppe externe du poumon). L’examen microscopique des tissus a confirmé la présence d’une bronchopneumonie vermineuse pyogranulomateuse marquée. La morphologie des parasites est caractéristique de nématodes du genre Halocercus sp. Nos examens ont donc permis d’établir que la mort soudaine de ce dauphin à nez blanc a été causée par un pneumothorax secondaire à la rupture d’un kyste de nématodes pulmonaires du genre Halocercus sp. L’arrivée d’air dans le thorax a provoqué une compression des poumons empêchant les poumons de se gonfler et donc l’animal de respirer. Les infections des poumons par des nématodes du genre Halocercus sp. sont très fréquentes chez les cétacés et ont habituellement peu de conséquences cliniques significatives. La sévérité de l’infection dans le présent cas, ayant mené à un pneumothorax, était par contre jugée suffisante pour être la cause de la mort. Bien qu’il soit impossible de tirer des conclusions sur les facteurs de risques associés à cette infection en se basant sur un seul cas, on peut se questionner sur l’efficacité du système immunitaire de cet animal. Un changement dans le type de proies disponibles (qui sont vraisemblablement essentiel dans la transmission de ce parasite) pourrait aussi influencer l’intensité d’une telle infection. L’examen de plus de spécimens de cette espèce pourrait nous aider à mieux comprendre l’importance de ce parasite dans la dynamique de la population de dauphin à nez blanc.
Pneumonie vermineuse à Otostrongylus circumlitus chez un phoque commun
Une deuxième espèce de nématode, Otostrongylus circumlitus, a causé la mort d’un phoque commun (Phoca vitulina). Ce phoque commun juvénile femelle a été trouvé mort en juin 2022 à Sept-Îles, Québec. Cet individu était fortement émacié, ce qui suggère une mort des suites d’une maladie chronique. À l’examen des poumons, une quantité importante de gros vers ronds blancs filiformes (2 mm x 15 cm de long) obstruant les voies respiratoires a été observée dans les deux bronches.
Ces nématodes avaient une localisation et une morphologie caractéristiques de l’espèce Otostrongylus circumlitus. Ce parasite affecte principalement les jeunes pinnipèdes qui s’infectent lors du début de l’alimentation solide. En effet, ce parasite infecte principalement les phoques par l’intermédiaire de l’ingestion de poissons qui contiennent des larves de parasites enkystées dans leurs chaires. Les jeunes phoques sont particulièrement sensibles à ces infections parasitaires, car leur système immunitaire est moins développé que les adultes. Otostrongylus circumlitus est un nématode décrit chez différentes espèces de phoques, incluant le phoque commun et le phoque annelé. Lors d’infections marquées, la capacité des phoques à plonger serait diminuée, ce qui limiterait leur succès de capture de proies et pourrait donc causer une perte de condition corporelle. Ce handicap peut menacer leur survie, comme ce fut probablement le cas de ce jeune phoque. Ce type de cas n’est que très rarement observé chez la population de phoques communs du Saint-Laurent. Par contre, très peu de spécimens du groupe à risque (juvéniles sevrés) ont été examinés par notre laboratoire jusqu’ici. Par conséquent, pour l’instant il est impossible de déterminer l’importance de cette parasitose dans la dynamique de cette population.
Gastrite vermineuse fatale à Anisakis sp. chez un marsouin commun
Le troisième cas d’infection parasitaire fatale a été observé chez une femelle adulte marsouin commun (Phocoena phocoena) trouvée morte en septembre à Baie-des-Sables, Québec. Ce marsouin présentait un bon état corporel, suggestif d’une mort suite à un événement soudain.
L’observation la plus significative faite sur cet animal était la présence d’une grande quantité de sang coagulé dans le premier compartiment gastrique. Cette hémorragie gastrique importante était associée à la présence de nombreux nématodes (vers ronds) dont la morphologie est caractéristique d’Anisakidae.
La muqueuse du compartiment gastrique était parsemée d’une multitude de petites zones d’ulcérations variant de 1 à 4 mm de diamètre couvrant une proportion importante de la surface de la muqueuse (environ 30%). Ces ulcères contenaient souvent des nématodes bien enfouis dans la paroi qui était épaissie par endroit. Ces observations nous poussent à croire que ce marsouin est mort des suites d’une hémorragie aiguë au niveau du premier compartiment gastrique. La présence d’une grande quantité de nématodes associés aux ulcères gastriques suggère que cette infection parasitaire serait la cause de ces hémorragies fatales. Anisakis simplex est l’espèce de nématodes la plus fréquemment décrite dans le premier compartiment des marsouins communs. Les marsouins s’infectent en ingérant des poissons qui agissent comme hôtes paraténiques (transport). Ces poissons acquièrent ces parasites suite à l’ingestion des hôtes intermédiaires principalement composés d’invertébrés, comme les copépodes et les amphipodes. Ces nématodes sont en fait très fréquents chez les marsouins, et bien qu’ils soient souvent associés à des gastrites ulcéreuses chroniques, cette condition est rarement identifiée comme la cause de la mort. Ce cas de mortalité consécutive à une infection par cette espèce de nématodes gastriques est donc inhabituel. On peut penser que par “malchance” en s’enfouissant dans la muqueuse un ou plusieurs parasites ont causé une rupture d’un vaisseau sanguin menant à l’hémorragie fatale. Comme les cas de mortalité associés sont rares, ce parasite a probablement que peu d’impact sur la dynamique de la population de marsouins communs.
RCSF-QUÉBEC (Stéphane Lair, Charlotte Nury, Lysanne Pagé)