Premier cas de maladie aléoutienne fatale documenté chez une mouffette rayée au Québec
En août dernier, une mouffette rayée (Mephitis mephitis) mâle adulte présentant un abattement sévère a été euthanasiée et soumise pour analyse au RCSF-Québec. Le spécimen était en très bon état corporel et les seules anomalies décelées à l’examen macroscopique étaient la présence de sécrétions séchées autour des yeux et des narines. L’examen histologique a en revanche révélé la présence de lésions de néphrite tubulo-interstitielle, de glomérulonéphrite membraneuse, ainsi que de méningo-encéphalite non-suppurée. Les lésions cérébrales expliquent l’abattement observé chez cet individu. Bien que modérées, les lésions rénales observées paraissent assez significatives pour avoir eu un impact sur le fonctionnement du rein (insuffisance rénale chronique probable).
Ce tableau lésionnel est en faveur de la maladie aléoutienne et la présence du virus a été confirmée par analyse moléculaire (PCR). Ni le virus de la rage ni le virus distemper n’ont été mis en évidence par la méthode du DRIT et une PCR respectivement. Il s’agit du premier cas de maladie aléoutienne chez les mouffettes à être diagnostiqué dans notre laboratoire.
Causée par un parvovirus, la maladie aléoutienne est particulièrement redoutée dans les élevages de visons où elle est responsable d’épidémies causant des pertes économiques importantes. Elle tire son nom de sa première victime, le vison d’élevage de couleur aléoutienne (gris-bleu), chez qui elle a découverte en 1956, mais elle touche en fait aussi les visons d’autres couleurs. Elle a aussi été rapportée chez le furet domestique, la loutre de rivière et la mouffette rayée. La présence d’anticorps dirigés contre ce virus a aussi été détectée chez d’autres espèces de Carnivores sauvages comme les renards et les ratons laveurs. La description de symptômes vraisemblablement causés par ce virus chez deux éleveurs de visons suggère que ce virus peut, dans de rares cas, causer une maladie chez l’Homme (Jepsen et al, 2009).Chez les mouffettes sauvages, la maladie aléoutienne est considérée comme émergente au Canada et en Californie (États-Unis); la présence du virus (exposition et/ou infection) a déjà été documentée en Ontario, Nouvelle-Écosse, Colombie-Britannique, Californie, Géorgie et récemment dans le Minnesota (Giannitti et al, 2018). Les différentes études moléculaires menées chez les mouffettes rayées sauvages montrent une prévalence élevée de portage du virus (32% (14/40) en Ontario et 86% (30/35) en Colombie Britannique). L’infection semble toutefois sous-clinique chez la plupart des individus, suggérant qu’ils sont avant tout des porteurs asymptomatiques (Britton et al, 2017; Canuti et al, 2017). Il est cependant possible que l’infection ait été détectée avant que les lésions ne deviennent évidentes dans certains cas (Canuti et al, 2017).
Le virus en question, du genre amdoparvovirus, appartient à la famille des Parvoviridae. Le genre se subdivise en quatre espèces (Carnivore amdoparvovirus 1-4). C’est l’espèce Carnivore amdoparvovirus 1 qui est responsable de la maladie aléoutienne. Un nouveau genre, Carnivore amdoparvovirus 5, a récemment été proposé pour classifier le virus circulant chez les mouffettes sauvages (Canuti et al, 2017). Le virus de la maladie aléoutienne est très contagieux et se transmet verticalement ou horizontalement, par contact direct et indirect avec le sang, l’urine, les fèces et la salive. Une transmission par aérosol peut également se produire (Britton et al 2017, d’après Hunter 1996). La durée de l’évolution clinique est variable selon l’espèce et la race; elle s’étale sur quelques mois chez le vison aléoutien et jusqu’à deux ans chez le furet et les visons d’autres couleurs. L’infection chronique aboutit à une forte production d’IgG (hypergammaglobulinémie) et de complexes immuns qui se déposent dans les membranes basales de l’hôte et causent une artérite, une glomérulonéphrite et une inflammation lymphoplasmocytaire systémique. Les lésions observées sont variables; les lésions souvent retrouvées chez les mouffettes incluent une hépatite et une néphrite lymphoplasmocytaires (mais pas forcément une glomérulonéphrite) ainsi que des lésions cérébrales comme une dégénérescence neuronale ou une méningoencéphalite non-suppurée (Williams et al, 2018; Britton et al 2017; LaDouceur et al, 2015; Allender et al 2008; Pennick et al, 2007). Chez cet individu, les lésions étaient hautement suggestives de la maladie aléoutienne. Ce n’est toutefois pas toujours le cas et certains auteurs conseillent de suspecter l’infection chez toute mouffette présentant des lésions de néphrite interstitielle, glomérulonéphrite, et/ou inflammation lymphoplasmocytaire multisystémique, impliquant les reins, le cœur, le cerveau, le foie et les poumons (LaDouceur et al, 2015).
Marion Jalenques et Stéphane Lair, RCSF-Québec
Références :
- Allender, M. C., Schumacher, J., Thomas, K. V., McCain, S. L., Ramsay, E. C., James, E. W., … & Reel, D. (2008). Infection with Aleutian disease virus-like virus in a captive striped skunk. Journal of the American Veterinary Medical Association, 232(5), 742-746.
- Britton et al (2017). Beyond rabies: are free‐ranging skunks (Mephitis mephitis) in British Columbia reservoirs of emerging infection? Transboundary and emerging diseases, 64(2), 603-612.
- Canuti et al (2017). Full genetic characterization and epidemiology of a novel amdoparvovirus in striped skunk (Mephitis mephitis). Emerging microbes & infections, 6(5), e30.
- Giannitti F et al (2018). Aleutian disease virus-like virus (Amdoparvovirus sp.) infecting free-ranging striped skunks (Mephitis mephitis) in the Midwestern USA. Journal of wildlife diseases, 54(1), 186-188.
- Jepsen, JR, et al (2009). Aleutian mink disease virus and humans. Emerging Infectious Diseases, 15(12), 2040.
- LaDouceur et al (2015). Aleutian disease: An emerging disease in free-ranging striped skunks (Mephitis mephitis) from California. Veterinary pathology, 52(6), 1250-1253.
- Pennick, K. E., Latimer, K. S., Brown, C. A., Hayes, J. R., & Sarver, C. F. (2007). Aleutian disease in two domestic striped skunks (Mephitis mephitis). Veterinary pathology, 44(5), 687-690.
- Williams BH, Burek Huntington KA, Miller M (2018). Chapter 11: Mustelids. In: Pathology of wildlife and zoo animals. 287-304.