Mélanomes chez les barbottes brunes du lac Magog, Québec

Photo 1: Barbotte brune capturée dans le lac Memphrémagog présentant une masse noire surélevée de grande taille diagnostiquée comme étant un mélanome cutané (crédit photo : Jean-Sébastien Messier).

Au cours du mois de juillet 2023, des barbottes brunes (Ameiurus nebulosus) ont été capturées par le Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs dans le lac Magog (Québec) dans le cadre d’un projet de recherche. Cinq des barbottes capturées présentaient des taches ou masses noires sur la peau au niveau des flancs, de la tête, des opercules, des nageoires ou des lèvres. Ces lésions cutanées étaient de tailles et de formes variables, soit surélevées ou lisses, solitaires ou multiples (photo 1). Mise à part la présence de ces masses, les poissons affectés semblaient en bonne condition.

Photo 2: Section histologique de la lèvre d’une barbotte brune affectée par un mélanome. On note l’envahissement marqué de l’épiderme, du derme des muscles et des structures osseuses (matériel dense rose) par de nombreux mélanocytes néoplasiques (cellules noires).

Afin de documenter ces lésions, des échantillons de tissus fixés ont été soumis au RCSF-Québec (CQSAS) pour analyse. Les examens microscopiques réalisés ont mis en évidence des changements prolifératifs des mélanocytes (cellules pigmentées) de la peau. Certaines de ces lésions prolifératives n’impliquaient que l’épiderme et le derme superficiel, tandis que les masses de tailles plus importantes étaient caractérisées par une destruction focalement extensive de l’épiderme ainsi qu’une infiltration massive des tissus sous-cutanée, des muscles et même des structures osseuses par de très nombreux mélanocytes (photo 2). Les cellules mélanocytaires présentaient souvent des caractéristiques cellulaires suggestives de cellules néoplasiques, telle une diminution de la densité des pigments de mélanine. L’apparence histologique de ces masses est en fait caractéristique de mélanomes, une tumeur potentiellement maligne des mélanocytes. L’examen de lésions de différentes tailles suggère que ce processus débute par une hyperplasie des mélanocytes qui évolue vers des masses tumorales fortement invasives. Fait intéressant, ce syndrome a été bien documenté dans le lac de la même région par un groupe de recherche du Vermont Fish and Wildlife Department qui a publié les résultats de travaux de recherche en 2019.1 Ces auteurs rapportent des lésions similaires chez 31% des barbottes brunes adultes capturées dans le lac Memphrémagog au cours des dernières années, ce qui semble représenter une augmentation marquée de l’occurrence de cette condition dans ce plan d’eau. Bien que l’on observe occasionnellement des tumeurs cutanées chez les poissons sauvages, l’occurrence simultanée de plusieurs cas d’un même type de tumeur chez une espèce dans un plan d’eau suggère une exposition à un ou des facteurs de risques.

Au cours de la dernière décennie, des lésions prolifératives des mélanocytes ont été rapportées chez différentes populations de poissons sauvages. Dans certains cas, comme chez des espèces de mérous en Australie, on suggère qu’une augmentation de l’exposition aux rayons ultraviolets (UV) pourrait être la cause du développement ces lésions.5 Le fait que le lac Memphrémagog est un lac en général peu profond (profondeur aux sites de captures variant de >2 à 4 m), pourrait favoriser l’exposition des poissons aux UV, ce qui pourrait expliquer l’occurrence élevée de cette condition à ces sites. On peut aussi s’interroger sur l’impact possible de l’introduction récente dans ce lac de la moule zébrée, une espèce envahissante. En effet, cette espèce de moule, qui se multiplie rapidement, filtre de grandes quantités d’eau occasionnant ainsi une transparence accrue de l’eau. La présence de ces moules pourrait donc augmenter l’exposition des poissons aux UV. Cependant, il importe de mentionner que la documentation de mélanomes chez les barbottes du lac Memphrémagog (2014) précède la première observation de moules zébrées dans ce lac (2017). Par conséquent, l’introduction de cette espèce de moules ne peut expliquer l’apparition de ces cancers. Néanmoins, la prolifération de ces moules exotiques pourrait potentiellement aggraver cette problématique dans l’éventualité où les rayons UV jouent réellement un rôle dans le développement de ces tumeurs.

Photo 3: Achigan à petite bouche capturé dans le lac Memphrémagog présentant des lésions typiques de mélanose ausi connue sous le nom de “blotchy bass syndrome” (crédit photo : Florent Philibert).

Des lésions hyperplasiques de mélanocytes (connue sous le nom de “blotchy bass syndrome” ou mélanose) ont aussi été documentées dans plusieurs populations d’achigans d’Amérique du Nord, incluant dans le lac Memphrémagog (photo 3). Une étude récente sur cette condition a mis en évidence la présence d’un virus (adomavirus) chez les achigans affectés par ces lésions.2 Bien que le rôle que joue ce virus dans le développement de ces lésions reste incertain, cette observation supporte l’hypothèse que les mélanomes observés chez les barbottes pourraient bien être d’origine virale.

Finalement, on se doit de mentionner un lien possible entre ces changements néoplasiques et l’exposition à différents contaminants chimiques cancérigènes. Par exemple, une corrélation entre la prévalence de lésions prolifératives des mélanocytes a été proposée chez différentes espèces de poissons au Japon.4 Aussi, l’exposition aux pesticides organochlorés et aux biphényles polychlorés (BPCs) a été identifiée comme facteur de risque pour le développement de mélanome chez l’Homme.3

En raison de la sévérité de plusieurs de ces lésions, il est raisonnable de penser que cette condition causera des mortalités chez les barbottes affectées. Néanmoins, l’impact ce syndrome néoplasique en émergence sur la dynamique de la population de barbottes brunes du lac Magog reste incertain.

Les études sont en cours afin de préciser la cause de ce néoplasme en émergence dans ce système ce qui pourra nous aider à mieux comprendre l’impact des changements environnementaux sur ce nouveau syndrome.

Références :

    1. Blazer VS, Shaw CH, Smith CR, Emerson P, Jones T. Malignant melanoma of brown bullhead (Ameiurus nebulosus) in Lake Memphremagog, Vermont/Quebec. J Fish Dis. 2020;43(1):91-100.
    2. Blazer VS, Young KT, Smith GD, Sperry AJ, Iwanowicz LR. Hyperpigmented melanistic skin lesions of smallmouth bass Micropterus dolomieu from the Chesapeake Bay watershed. Dis Aquat Organ. 2020;139:199-212.
    3. Gallagher RP, Macarthur AC, Lee TK, Weber JP, Leblanc A, Mark Elwood J, Borugian M, Abanto Z, Spinelli JJ. Plasma levels of polychlorinated biphenyls and risk of cutaneous malignant melanoma: a preliminary study. Int J Cancer. 2011;128(8):1872-1880.
    4. Kinae N, Yamashita M, Tomita I, Kimura I, Ishida H, Kumai H, Nakamura G. A possible correlation between environmental chemicals and pigment cell neoplasia in fish. Sci Total Environ. 1990;94(1-2):143-153.
    5. Sweet M, Kirkham N, Bendall M, Currey L, Bythell J, Heupel M. Evidence of melanoma in wild marine fish populations. PloS one. 2012;7(8):e41989.

    Olivier Skelling et Stéphane Lair, RCSF-Québec

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