Infections digestives par des douves causent des mortalités chez des canards au Québec

Sous-échantillons des canards noirs, canards pilets et canards colverts soumis au laboratoire pour analyse.

Sous-échantillons des canards noirs, canards pilets et canards colverts soumis au laboratoire pour analyse.

Un épisode de mortalité massive de canards barboteurs a été rapporté dans la Baie Lavallière (Saint-Anne-de-Sorel, sud du Québec). Au total, 130 canards noirs, 16 canards colverts, 10 canards pilets et une sarcelle d’hiver ont été retrouvés morts entre le 23 et le 27 mars dernier.

Plusieurs spécimens ont été soumis pour analyse au centre régional du Québec (RCSF / CQSAS) afin de déterminer la cause des mortalités observées. Les canards soumis étaient tous en très bon état nutritionnel et présentaient une distension des intestins et des caeca par une grande quantité de contenu liquide hémorragique contenant souvent des amas de fibrine. Par endroit, les muqueuses intestinales étaient hémorragiques et recouvertes de fibrine. Une multitude de petites structures blanchâtres ovoïdes à peine visible à l’œil nu étaient présentes dans le contenu intestinal. L’examen de ces structures aux binoculaires a confirmé qu’il s’agissait de trématodes (vers plats). Une typhlocolite / entérite fibrinonécrotique hémorragique aiguë a été identifiée comme la cause de la mort de ces oiseaux. À noter que le virus de l’influenza aviaire n’a pas été détecté par méthode moléculaire.

A) Caeca (flèches) d'un canard noir présentant une dilatation marquée ainsi que des zones hémorragiques et pâles sur la séreuse. B) Caeca ouverts remplis d'un contenu liquide hémorragique dans lequel on observe de nombreux trématodes de petites tailles (flèches). Des amas de fibrine (f) recouvrent la muqueuse.

A) Caeca (flèches) d’un canard noir présentant une dilatation marquée ainsi que des zones hémorragiques et pâles sur la séreuse. B) Caeca ouverts remplis d’un contenu liquide hémorragique dans lequel on observe de nombreux trématodes de petites tailles (flèches). Des amas de fibrine (f) recouvrent la muqueuse.

Différentes espèces de trématodes intestinaux sont connues pour pouvoir potentiellement causer des mortalités chez les canards. Au Québec, les espèces Sphaeridiotrema globulus et Cyathocotyle bushiensis sont celles le plus souvent décrites. La morphologie des parasites observés dans les présents cas suggère en fait une infection combinée de ces deux espèces de trématodes (identification moléculaire en cours). Des études expérimentales ont démontré qu’un canard peut consommer une dose létale de parasites au cours d’une période de 24 heures et mourir dans les 3 à 10 jours suivants le début de l’infection. Ces parasites peuvent donc être responsables d’épisodes de mortalité aiguë comme observés ici. Selon la chronologie des évènements, les premières observations de canards noirs dans la baie Lavalière ont été faites le 19 mars 2024 alors que la baie était nouvellement libre de glace suite à la fonte printanière. On peut donc suggérer que les canards se sont infectés à leurs arrivées sur ce site. Fait à souligner, cet épisode de mortalité a duré moins d’une semaine; aucune mortalité étant observée lors d’une visite du site le 3 avril. Bien que le nombre de canards noirs sur le site eût grandement diminué, le nombre de canards pilets avait quant à lui fortement augmenté. Cette observation suggère que les canards noirs sont plus sensibles à ces parasites que les canards pilets. Il est aussi possible que la grande majorité des escargots infectés aient été consommés par les premiers oiseaux arrivés sur le site.

L’entérite / typhlocolite à trématodes est une condition régulièrement rapportée chez la sauvagine en Amérique du Nord, surtout chez les canards plongeurs, comme les fuligules, et chez les foulques. Des mortalités associées à ces deux parasites sont aussi documentées chez les canards barboteurs surtout à la fin de l’été. Au Québec, plusieurs épisodes ont été rapportés depuis les années soixante. Néanmoins, à notre connaissance, l’intensité et la période (printemps) associées à l’épisode de mortalité décrite ici sont plutôt inhabituelles.

Images microscopiques des trématodes retrouvés dans les intestins de canards affectés. A) Trématode adulte ayant une morphologie suggestive de l'espèce Cyathocotyle bushiensis (à confirmer). B) Trématodes adultes (flèches) ayant une morphologie suggestive de l'espèce Sphaeridiotrema globulus (à confirmer).

Images microscopiques des trématodes retrouvés dans les intestins de canards affectés. A) Trématode adulte ayant une morphologie suggestive de l’espèce Cyathocotyle bushiensis (à confirmer). B) Trématodes adultes (flèches) ayant une morphologie suggestive de l’espèce Sphaeridiotrema globulus (à confirmer).

Ces parasites sont transmis aux canards (l’hôte définitif) via des hôtes intermédiaires (escargots). La bithynie commune (Bithynia tentaculata), une espèce d’escargot invasif originaire d’Europe, joue un rôle prépondérant dans la transmission de ces parasites, et donc dans l’écologie de cette condition. Cette espèce d’escargot, qui a été documenté pour la première fois en Amérique du Nord dans le lac Michigan en 1871, est maintenant présente dans les Grands Lacs et plusieurs tributaires, dont le Fleuve Saint-Laurent. Certaines observations suggèrent que ce gastéropode a connu une augmentation d’abondance et d’aire de distribution dans les dernières décennies. La nature “invasive” (donc non indigène) de ces trématodes et de leur hôte intermédiaire pourrait expliquer, du moins en partie, cet apparent déséquilibre dans la relation des parasites avec ces hôtes définitifs nord-américains mal adaptés. De plus, l’intensité d’infection élevée observée chez les canards soumis pourrait indiquer une exposition inhabituellement élevée aux bithynies communes au cours des derniers jours. Le niveau d’eau relativement bas présent sur ce site cette année aurait pu favoriser l’exposition des canards aux escargots, ceux-ci étant moins profonds et donc plus accessibles pour les canards barboteurs. De plus, il semblerait que l’abondance de la bithynie commune pourrait être favorisée par l’augmentation de la température et l’eutrophication (augmentation des nutriments) de l’eau. On peut donc se demander comment la relation souvent problématique entre ces parasites et ses hôtes sera affectée par les changements globaux observés dans cet écosystème.

À noter que ces parasites ne représentent pas de risque pour l’Homme et les mammifères domestiques.

Stéphane Lair, RCSF-Quebec (CQSAS) avec la collaboration de Matthieu Beaumont (ECCC) et Paul Messier (SABL)

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