Échouage d’un rorqual à bosse vivant aux Îles-de-la-Madeleine
Le 25 mars 2018, l’échouage d’un rorqual à bosse (Megaptera novaeangliae) juvénile vivant sur une plage des Îles-de-la-Madeleine a été rapporté au Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM). L’évaluation des photos prisent par une bénévole a permis de mettre en évidence un état d’émaciation avancé. Suite à des consultations avec des experts, il a été déterminé qu’il ne serait pas souhaitable de tenter de transporter l’animal en eaux plus profondes en raison du pronostic de survie très faible et des risques associés à une procédure de cette complexité. La mort de l’animal quelques heures après son échouage confirma l’état de faiblesse avancé dans lequel il était. Deux équipes du RCSF (Atlantique et Québec) ont été dépêchées sur place afin de réaliser une nécropsie grâce à la collaboration de bénévoles du RQUMM et au support d’Environnement Québec et de Pêches et Océans Canada.

Figure 1: Rorqual à bosse échouée aux Îles-de-la-Madeleine le 25 mars 2018. Crédit photo : Sophie Beauchemin.
La carcasse était en excellent état de conservation. La longueur de l’animal (8,8 mètres) a permis de confirmer qu’il s’agissait d’une jeune femelle âgée d’environ un an,10 donc vraisemblablement sevrée assez récemment. Le sevrage des rorquals à bosse débute lorsqu’ils sont âgés d’environ 6 mois et se termine généralement à la fin de leur première année de vie,2 lorsqu’ils atteignent une longueur d’environ 8 mètres.9 L’animal présentait une émaciation marquée caractérisée par une fonte musculaire diffuse et une perte très importante de l’épaisseur du pannicule adipeux sous-cutané. L’examen du tractus digestif n’a d’ailleurs pas permis de mettre en évidence des signes d’alimentation récente. Quelques balanes ainsi que de nombreuses marques d’attache de balanes étaient aussi présentes sur la peau de cette baleine, notamment au niveau de la tête, des nageoires pectorales et de la queue. Ces crustacés se fixent sur la peau des rorquals à bosse lors de leur séjour dans les eaux chaudes (lieu de la reproduction et des mise-bas) et se détachent lors de l’arrivée des baleines dans les eaux froides (lieu d’alimentation). La présence concomitante de ces marques et des crustacés est donc une indication que l’arrivée de cet individu dans le Golfe du Saint-Laurent était assez récente. La fréquentation des rorquals à bosse dans le Golfe du Saint-Laurent en saison hivernale est très peu documentée et se limite à des observations anecdotiques.5 Ainsi, il est difficile de déterminer si la présence de cette baleine autour des Îles-de-la-Madeleine à la fin du mois de mars était inhabituelle. Toutefois, le 3 avril 2018 (soit 9 jours après que cette baleine ce soit échouée), trois rorquals à bosse ont été aperçus dans le Golfe du Saint-Laurent, à Mont-Louis (au nord-est des Îles-de-la-Madeleine).4
Deux séries de cicatrices blanchâtres curvilinéaires superficielles étaient également visibles sur la queue. Le patron des cicatrices indique qu’il s’agit de morsures (rake mark) distinctes vraisemblablement infligées par un épaulard (Orcinus orca).7 Certains écotypes d’épaulards sont reconnus pour s’attaquer aux grands cétacés,6 notamment aux baleines boréales (Balaena mysticetus) dans l’Arctique, où environ 8% des individus récoltés lors de chasse de subsistance ont des marques de morsure.3 La fréquence de ces marques de morsures sur les rorquals à bosse varie selon la région et parait significativement plus élevée au Canada (entre 15,9 et 18,9%)6 et dans les eaux à l’est de l’Australie (17,0%)7 comparativement au Golfe du Maine, ouest du Groenland, Islande et Norvège.6 Puisque ces marques sont superficielles et complètement cicatrisées, elles n’ont vraisemblablement eu aucun impact sur la santé de l’animal.

Figure 2: Marques d’attache circulaires de balanes à gauche et “rake marks” vraisemblablement causées par un orque à droite sur la queue du rorqual.
L’examen macroscopique de la carcasse n’a pas permis d’identifier de condition pathologique pouvant expliquer l’émaciation observée. De plus, aucun signe de lésions traumatiques qui auraient pues être causées par une collision avec un bateau ou par un empêtrement dans un engin de pêche n’a été observé. Pour l’instant, l’hypothèse est donc que ce juvénile récemment sevré n’était pas en mesure de combler ses besoins nutritionnels et soufrait donc de sous-alimentation chronique. Son échouage serait secondaire à un état de faiblesse généralisée associé à un bilan énergétique négatif. L’examen histologique de tous les tissus prélevés lors de la nécropsie demeure toutefois nécessaire afin d’éliminer la possibilité de problèmes d’origine infectieuse.
Finalement, il est important de noter que depuis janvier 2016, on observe une augmentation des mortalités des rorquals à bosse sur la côte Atlantique, du Maine jusqu’en Floride. Depuis le début de l’année 2018, 9 mortalités ont été rapportées, portant le nombre de carcasses à 68 depuis janvier 2016. Un événement de mortalité inhabituelle de rorquals à bosse a d’ailleurs été décrété par le National Oceanic and Atmospheric Administration. Des nécropsies ont été réalisées chez environ la moitié de ces mysticètes et la cause de la mort a pu être attribuée à des collisions avec des bateaux ou encore avec des empêtrements dans 50% des cas. La cause de la mort n’a pu être établie chez les autres baleines et des investigations sont toujours en cours.8
Références :
- Ackman, R. G., Hingley, J. H., Eaton, C. A., Sipos, J. C., & Mitchell, E. D. (1975). Blubber fat deposition in mysticeti whales.Canadian Journal of Zoology, 53(9), 1332-1339.
- Clapham, P. J. (1996). The social and reproductive biology of humpback whales: an ecological perspective.Mammal Review, 26(1), 27-49.
- George J.C., Sheffield G., Reed D.J., Tudor B., Stimmelmayr R., Person B.T. Sformo T., Suydam R. (2017). Frequency of injuries from line entanglements, killer whales, and ship strikes on Bering-Chukchi-Beaufort seas bowhead whales. Arctic, 70(1), 37-46.
- Giroux, M-S pour Baleines en direct. (2018). Il neige sur les baleines!. Repéré à : https://baleinesendirect.org/il-neige-sur-les-baleines%E2%80%89/.
- Lesage V., Gosselin J-F, Hammill M., Kingsley M.C.S. et Lawson J. (2007). Ecologically and biologically significant areas (EBSAs) in the Estuary and Gulf of St. Lawrence – A marine mammal perspective (Document de recherche 2007/046). Ottawa, Canada: Secrétariat canadien de consultation scientifique, Pêches et Océans Sciences.
- McCordic J.A., Todd S.K., Stevick P.T. (2014). Differential rates of killer whale attacks on humpback whales in the North Atlantic as determined by scarification. Journal of the marine biological association of the United Kingdom, 94(6), 1311-1315.
- Naessig P.J., Lanyon J.M. (2004). Levels and probable origin of predatory scarring on humpback whales (Megaptera novaeangliae) in east Australian waters. Wildlife Research, 31, 163-170.
- National oceanic and atmospheric administration (NOAA) Fisheries. (2018). 2016-2018 Humpback whale unusual mortality event along the Atlantic coast. Repéré à : http://www.nmfs.noaa.gov/pr/health/mmume/2017humpbackatlanticume.html.
- Society for Marine Mammalogy. (1993). Appearance of juvenile humpback whales feeding in the nearshore waters of Virginia. Marine mammal science, 9(3), 309-315.
- Stevick, P. T. (1999). Age-length relationship in humpback whales; a comparison of strandings in the Western North Atlantic with commercial catches. Marine Mammal Science, 15(3), 725-737.
Karine Béland et Stéphane Lair, RCSF – Québec