Déposition de cristaux d’oxalate de calcium dans les reins
L’activité principale du RCSF est d’effectuer des nécropsies (autopsies) sur des animaux sauvages afin de déterminer la cause de leur mort. Cet examen post-mortem commence par un examen macroscopique de la carcasse habituellement suivi d’un examen microscopique des organes prélevés. La présence de lésions macroscopiques et microscopiques permet habituellement au pathologiste de déterminer la cause de la mort de l’animal. En fonction de l’étendu et de la sévérité de chaque lésion, le pathologiste déterminera si ladite lésion est cliniquement significative ou tout simplement une trouvaille sans trop de conséquences pour la santé de l’animal. La cause des lésions observées est déduite en fonction de nos connaissances et de la littérature scientifique en pathologie vétérinaire. L’origine de certaines de ces trouvailles histologiques reste cependant incertaine.
Une de ces trouvailles est la présence de cristaux d’oxalate de calcium observés occasionnellement à l’examen histologique des reins chez différentes espèces d’animaux sauvages.
La présence de cristaux d’oxalate dans les reins d’une grue du Canada soumise pour analyse récemment (Image 1) nous a fait questionner sur l’origine possible de ces dépôts.
Les cristaux d’oxalate de calcium sont des dérivés de l’acide oxalique qui se déposent au niveau des tubules rénaux, causant ainsi des dommages rénaux. Si les cristaux sont présents en grande quantité, ils peuvent entraîner une insuffisance rénale aiguë qui peut être fatale. Bien que certaines causes de dépôt de cristaux d’oxalate de calcium, comme l’intoxication à l’éthylène glycol et l’ingestion de plantes contenant des oxalates, soient bien documentées, d’autres, par exemple les infections et les contaminations par Aspergillus sp., sont moins connues. L’objectif de cette communication brève est de faire un survol des causes possibles d’accumulation de cristaux d’oxalate de calcium dans les reins chez les animaux sauvages.
Intoxication à l’éthylène glycol
L’éthylène glycol est une substance qu’on retrouve principalement dans le liquide antigel utilisé dans les systèmes de refroidissement des voitures. Cette substance n’a pas d’odeur, mais a un goût sucré. Cette caractéristique la rend particulièrement appétante pour les animaux domestiques et sauvages. Chez les animaux domestiques, les intoxications surviennent surtout chez le chien et sont habituellement accidentelles. Chez les animaux sauvages, ces intoxications peuvent aussi être accidentelles, bien que dans certains cas des d’empoisonnement volontaire sont suspectés, principalement chez les ratons laveurs, renards roux, mouffettes rayées et coyotes.
L’intoxication au liquide antigel de refroidissement est surtout observée dans la portion nord de l’Amérique du Nord où l’utilisation de cette substance à base d’éthylène glycol est répandue. Les animaux qui consomment de l’antigel vont présenter des signes cliniques telles une démarche chancelante, de l’incoordination et de la léthargie. L’ensemble de ces signes cliniques est causé par la précipitation d’oxalates de calcium au niveau des tissus. Dans l’organisme de l’animal, l’éthylène glycol est métabolisé au niveau du foie. Un des métabolites de l’éthylène glycol est l’acide oxalique. Ce métabolite précipite en oxalate de calcium au niveau des tubules rénaux (Image 2), causant ainsi une insuffisance rénale aiguë dans les 24-72h suivant l’ingestion d’éthylène glycol.
Ingestion de plantes contenant des oxalates
La consommation de plantes contenant des oxalates est une autre cause de déposition de cristaux d’oxalate de calcium dans les reins. Plusieurs plantes communes sont connues pour contenir des oxalates. Deux formes d’oxalates sont présentes dans les végétaux : Les oxalates insolubles et les oxalates solubles. Ces deux types d’oxalates produisent des effets toxiques différents. Les oxalates insolubles sont retrouvés dans la majorité des plantes d’intérieur (Philodendron, Alocasia, Caladium, et autres), mais peuvent également être retrouvés dans différentes plantes indigènes. L’ingestion de ce type d’oxalate cause des irritations orales et digestives, des vomissements et de la diarrhée. Ce type d’intoxication est rarement fatal chez les animaux. Les oxalates solubles quant à eux sont retrouvés beaucoup moins fréquemment dans les végétaux. On les retrouve principalement dans les épinards, le trèfle irlandais ainsi que les feuilles de rhubarbe (les oxalates ne sont pas présents dans les tiges de rhubarbe). Lorsque ces plantes sont ingérées, les oxalates solubles prennent la circulation sanguine et se lient au calcium sérique pour former des oxalates de calcium. Par la suite, les oxalates de calcium peuvent précipiter au niveau du rein créant ainsi des dommages aux tubules rénaux menant potentiellement à une insuffisance rénale aiguë.
Infection par Aspergillus spp. et ingestion d’aflatoxines
Les fongi du genre Aspergillus spp. peuvent être responsables d’infections des voies respiratoires chez les animaux domestiques et sauvages. Ces fongi sont ubiquitaires, c’est-à-dire qu’ils se retrouvent partout dans l’environnement. Les animaux s’infectent en respirant les spores de ces champignons. Les oiseaux y sont particulièrement sensibles de par leur système respiratoire complexe, mais des infections à Aspergillus sp. sont aussi rapportées chez plusieurs espèces de mammifères, incluant l’Homme. Dans la majorité des cas, ces infections fongiques sont observées chez des animaux affectés par une dépression de leur système immunitaire, par exemple suite à un stress, une émaciation ou une infection par un virus immunodépresseur. Le métabolisme aérobique de ce champignon produit un métabolite qui s’appelle l’acide oxalique. Dans l’organisme de l’animal, l’acide oxalique est absorbé dans la circulation sanguine, et précipite en oxalate de calcium à un pH physiologique. Ces cristaux peuvent par la suite se déposer dans divers organes. Les dépôts d’oxalates de calcium se retrouvent principalement dans les poumons, le foie, la rate et les reins. Une corrélation a été faite entre la présence de cristaux d’oxalate de calcium au niveau de divers organes et une infection à Aspergillus sp. chez différentes espèces d’oiseaux ainsi que chez l’humain, le chien, le cheval, les bovins et le dauphin.
En plus d’une infection systémique à Aspergillus sp., l’ingestion de nourriture moisie contenant des aflatoxines produites par les fongi du genre Aspergillus sp. est également une cause possible de déposition de cristaux d’oxalate de calcium au niveau des reins par le même processus. Ce type de toxine naturelle peut se retrouver dans les produits céréaliers laissés aux champs.
Cause des cristaux d’oxalate chez la grue du Canada
En premier lieu, nous devons spécifier que, bien que les cristaux d’oxalate présents dans les reins de la grue du Canada soumise étaient associés à une réaction inflammatoire, il n’a pas été jugé que ces changements étaient suffisamment important pour avoir un impact significatif sur la santé de l’oiseau. L’origine de cette trouvaille chez cette grue du Canada est par contre intrigante. Aucune évidence d’infection par Aspergillus sp. n’a été détectée chez l’oiseau. De plus, une intoxication par l’éthylène glycol ou l’ingestion de plantes contenant des oxalates restent hautement improbables lorsque l’on considère le régime alimentaire de cette espèce. Par contre, comme les grues sont connues pour consommer une grande quantité de céréales (incluant de l’orge) dans les champs, l’exposition à de l’aflatoxine suite à la consommation de grains moisis est cause possible à envisager. L’impact pour ces oiseaux de cette exposition potentielle à cette toxine naturelle reste incertain. Fait à souligner, l’augmentation rapide de la population de grues au Québec au cours des dernières années, qui est somme toute une bonne nouvelle, est en fait une source de tension avec les producteurs céréaliers de certaines régions au Québec en raison des dommages causés dans les champs.
Références :
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Contributeurs :
Marianne Thibodeau et Stéphane Lair, RCSF Québec